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Sidi Larbi Cherkaoui, rencontres de Joël Kerouanton- collection essais & entretiens
PRÉLUDE

SLCSidi Larbi Cherkaoui se balade dans un large pantalon vert, très sportswear, au sein du théâtre De Single, à Anvers (Belgique). Le vert au théâtre, c’est comme le lapin sur un bateau : il y a des comédiens ou des danseurs qui n’en prononcent pas le mot et qui détalent devant la couleur maudite.
Pour cet homme, le sacré n’est pas dans l’espace théâtral ; il semble être ailleurs, dans la vraie vie, loin de ce lieu qui s’apparente, selon lui, à « un grand mensonge… mais qui permet parfois d’approcher la vérité ».

Ce danseur et chorégraphe cherche à sortir de l’enfermement toujours possible des codes sociaux, ce qu’il aime à nommer « les étiquettes ». Cette posture l’amène inévitablement à interroger les codes théâtraux : « La façon dont je travaille est basée sur une sorte de logique émotionnelle et ce n’est pas toujours le théâtre comme convenu, il n’y a pas de convention théâtrale, il y a juste une logique personnelle. »
Sidi Larbi Cherkaoui respecte le lieu de la représentation mais ne l’idéalise pas : l’important est d’avoir une urgence à dire le réel, et surtout une urgence à « jouer avec », comme il aime à le rappeler.
À quoi attachez-vous le plus de foi ? Avez-vous un rêve ? Que faites-vous du temps qui passe ? Jouer avec le réel, certes, mais à partir de soi, de son questionnement intérieur. Il aime poser des questions simples aux réponses complexes et apprécie parfois de créer la confusion pour nous amener à clarifier notre rapport au monde.
C’est cette urgence et ce plaisir à dire que j’ai découverts dans le spectacle Rien de rien en 2001, au Théâtre de la Ville, à Paris.
J’avais réservé deux places pour ma compagne et moi, sans véritablement connaître la nature de la proposition artistique. Pas vraiment du hasard, mais un peu tout de même. J’avais vaguement repéré sur la plaquette de présentation des références au hip-hop, la présence en live d’un instrumentiste sur le plateau – un violoncelliste –, la nécessité d’une approche transversale aux différents arts que sont la musique, le théâtre et la danse et, enfin, un propos tout en humour, engagé sur la question interculturelle. Un ensemble sûrement sympathique, pensais-je avant la représentation.
C’est toujours un risque d’aller voir un spectacle. Risque de ne pas saisir l’enjeu du propos, d’être pris en otage par un ensemble qui dicte son rythme et vous laisse peu de respiration. Toutefois, j’apprécie ces moments non balisés. J’aime ces instants où ma disponibilité laisse place à l’imprévu, où des idées et sensations nouvelles sont possibles. L’art n’est-il pas l’un des derniers endroits où l’on peut être interpellé et bousculé dans ses idées et représentations ?
Ce fut une bonne surprise,
un coup de cœur immédiat.
Je fus littéralement happé par la proposition.
Il me fallait décrire mes émotions, communiquer mon enthousiasme, dire la joie et l’apaisement ressentis.
Il me fallait mettre en forme et, pour ma part, « mettre en mots » le plaisir à voir et à entendre le travail du chorégraphe et de ses partenaires, bien qu’il soit « difficile, chacun le sait, presque impossible, d’exprimer la beauté d’un geste artistique lorsqu’il nous a touché ». Peut-être est-ce la nécessité de dire et de partager ce qui me trouble qui a prévalu sur cette impossibilité – toute théorique – d’exprimer l’émotion de spectateur ?