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les éditions l'oeil d'or

Jeanne et André de Alain Bellet - mémoires & miroirs
PRÉFACE par Max Pons, éditeur de la première édition,directeur des Éditions La Barbacane

Alain BelletCeci n’est pas une nouvelle, pas davantage un roman court. Le récit que nous donne Alain Bellet est une sorte de poème haletant où reviennent sans fin les litanies d’un passé non aboli, afin d’exorciser un fait divers douloureux, poignant, lancinant. Mais peut-on apaiser cette douleur faite chair, panser cette vieille meurtrissure ? Une lutte s’engage entre le narrateur et l’homme de chair et d’os.
Le narrateur (l’homme) écrit, décrit un événement qu’il n’a pas vécu, Lui aussi est à la recherche d’un passé révolu dont la brûlure persiste. Le temps de l’écriture, il emploie une langue parlée, souvent théâtrale (un metteur en scène sera tôt ou tard séduit par ce texte) où les tournures langagières de notre quotidien s’imposent. Langue éclaboussante de spontanéité, tenant à la fois du journal intime et du journalisme.

Répétitions, scansions phoniques harcèlent la mémoire et parfois l’inconscient. L’auteur manifeste une diversité verbale qui nous installe dans les remous de la vie courante. Cette agilité de parole, pour qui connaît Alain Bellet, n’étonne guère. Il la manifeste constamment et ses familiers retrouveront ici son phrasé, qu’il ponctue d’incessants mégots agités au rythme d’essuie-glaces. Gestes d’un homme tendu, nerveux, ardent que tempère parfois un arrière-fond de tendresse.
C’est ainsi qu’il m’apparut, un jour d’été, à Bonaguil (château des mots et des rencontres) où les vies peuvent basculer et s’accorder à d’autres vies cheminant vers l’apprivoisante amitié.
L’homme interroge. Praticien du cœur, il se veut chroniqueur d’une double mort annoncée. Il intervient dans le récit, avec une voix « off » qui nous rappelle le langage cinématographique. Cela donne un beau récit, sous-tendu par une indéfinissable et incessante interrogation, récit d’une certitude habitée par le doute.
L’auteur nous replonge dans l’atmosphère pesante des années noires de l’Occupation. Occupation des cœurs, aussi, et noirceur de la vie quotidienne.
Sans tomber dans un misérabilisme outrancier, il nous donne à voir toute l’humilité du petit peuple. La condition ouvrière d’avant-guerre s’y révèle en filigrane. C’est aussi le milieu de ses protagonistes et peut-être le troisième personnage d’un récit qui témoigne des malheurs du temps et de la vie quotidienne des petites gens, et se situe à des années-lumière de la langue pasteurisée des élites dirigeantes.
Se comportant à la manière d’une caméra subjective, il sonde les reins et les cœurs de ses deux héros. Le dénouement, pressenti dès le début, ôte au lecteur tout mouvement ordinaire d’intrigue, tout suspense, mais le livre pantelant à la fascination qu’exerce cette chronique dédiée aux amants éternels. L’Histoire chemine aux côtés du narrateur avec un type d’écriture-vérité qui est celui-là même que traque La Barbacane depuis toujours. D’emblée, le langage décapant et sulfureux de l’auteur de Jeanne et André m’a accroché et mobilisé.
L’avant-dernière phrase du récit éclaire soudain tout le texte comme l’orage illumine d’un seul coup les ténèbres : « L’homme du récit se démasque, revendique une filiation avouée… » Ici, commence le territoire de l’homme Alain Bellet.